PLACE DU TERTRE
Et moi, je pensais à Montmartre.
Tu te rappelles ce printemps
Qui était si beau, l’autre année ?
Ces crépuscules longs et tendres
Comme le cri d’un train au nord ?
Tu sais, quand nous allions dîner
Sous les arbres, place du Tertre ?
Des jeux d’enfants, des cris d’enfants
Étaient le monde autour de nous.
Alors il suffisait d’entendre
Une voix au bout de la place ;
Il suffisait même de voir
Une branche plus haut qu’un mur,
Pour se dire que le bonheur
Venait de passer quelque part,
Et qu’en se dépêchant, peut-être
On le rattraperait encore.
Tu te rappelles ce printemps
Qui était si beau, l’autre année ?
Ces crépuscules longs et tendres
Comme le cri d’un train au nord ?
Tu sais, quand nous allions dîner
Sous les arbres, place du Tertre ?
Des jeux d’enfants, des cris d’enfants
Étaient le monde autour de nous.
Alors il suffisait d’entendre
Une voix au bout de la place ;
Il suffisait même de voir
Une branche plus haut qu’un mur,
Pour se dire que le bonheur
Venait de passer quelque part,
Et qu’en se dépêchant, peut-être
On le rattraperait encore.
(Jules Romains – Le voyage des amants – 1920)
Juillet 2011 à Paris Place du Tertre. Que sont devenus les artistes parisiens de la place du Tertre ?
Ils ont fui la souillure des murs devenus obscènes, les malheureux lampadaires écorchés aux charmes éteints par des tags, les ordures sur des pavés d'histoire, un monde de bruits sourds...
Les jeux de ballons de Titis parisiens sortis de la mémoire de ma grande-Tante ont désertés mon imagination. Seuls les mots des poètes ravivent ces ombres.
Il m'a été impossible de photographier ces lieux tant la saleté les recouvre. Seuls des clichés cadrés serrés sur un dessin particulièrement réussi et des modèles de femmes font l'objet de cette petite série de photos. Mais avant de les regarder, je vous propose en lecture deux anecdotes semblables qui marquent l'air du temps :
Des portraitistes vagabonds, affichent la couleur indéfinie de la diversité invasive. Ils offrent une anamorphose d'un folklore parisien fantasmé par des touristes aux mille et une langues.
Aux abords de la place du Tertre, dans une ruelle bordée d'étals pour touristes, l'un d'eux, le sourire aux lèvres, m'interpelle et me demande : "Quelle est votre nationalité ?" Je lui réponds, "je suis Parisienne", en pensant éviter la question subsidiaire. Une image instantanée se présente sous mes yeux : un choc neuronal électrise sa face qui brutalement s'éteint et coupe son sourire dans un court-circuit émotionnel. Les traits usés de son visage d'étrange parisien, tels des fils s'entremêlent. Son corps se fige sur place. Au milieu de la rue, en plein désarroi, je le regarde, étonnée de l'effet que produit sur lui ma simple réponse.
Je fais quelques pas et m'éloigne, mais il me rattrape et m'interpelle à nouveau. Je me retourne et l'entends me demander... "Vous êtes Française ?" Le doute ou l'impossibilité d'entendre ma réponse, le pousse à me questionner à nouveau. "Oui, lui dis-je, Française ET Parisienne" en appuyant sur le "ET".
Si je lui avais dit que mes origines étaient bretonnes, aurait-il eu des doutes sur ma nationalité ? ...peut-être. Si je lui avais répondu "Oui, je suis Française", m'aurait-il questionné sur mes origines ? L'artiste suivant apporte la réponse.
Au centre de la place, d'autres portraitistes, en grand nombre, portent les traits des visages fixes des hommes de l'Orient éternel.
En pleine prise de vue, j'entends à ma gauche près de mon oreille, un caricaturiste me poser la même question, à laquelle je fais la même réponse : "Je suis Parisienne". Il réagit par un "Ah bon, vraiment ?" Sa voix cassée d'étonnement, comme un faible écho sort d'un gouffre. Feignant l'indifférence, pour apporter une note de banalité à ma réponse, je porte l'objectif de mon appareil à mes yeux tout en posant ma voix pour lui répondre : "oui, je suis Parisienne et Française". "Mais vous auriez pu être Américaine d'origine Française" me supplie-t-il ? "Oui, j'aurais pu, mais ce n'est pas le cas" lui dis-je, comme déchirant un voile...
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